Une petite lecture italienne, poétique et cruelle, d'Erri De Luca

Publié le 10 Août 2016

Avant de me rendre en Italie quelques jours, il me fallait me replonger dans la langue italienne que j'affectionne particulièrement, même si je suis loin de la maîtriser.

Là est la difficulté : lire un livre intéressant, que j'aurais aimé lire en français aussi, mais pas trop compliqué (en termes d'usage de la langue, de vocabulaire et de longueur du récit) pour pouvoir comprendre ce que je lis et même apprécier les qualités d'écriture de l'auteur. Car lire un chef d'oeuvre sans en saisir le sens et les subtilités, c'est un peu frustrant et débile.

Avec Le Poids du papillon (Il Peso della farfalle) d'Erri De Luca, c'est une bonne pioche, même si j'ai trébuché à de nombreuses reprises sur des phrases. Mais c'est en français, tout de même, que je vais en faire un petit billet.

ACCROCHE

Quelque part dans les Alpes italiennes, un chamois domine sa harde depuis des années. D’une taille et d’une puissance exceptionnelles, l’animal pressent pourtant que sa dernière saison en tant que roi est arrivée, sa suprématie est désormais menacée par les plus jeunes. En face de lui, un braconnier revenu vivre en haute montagne, ses espoirs en la Révolution déçus, sait lui aussi que le temps joue contre lui. À soixante ans passés, sa dernière ambition de chasseur sera d’abattre le seul animal qui lui ait toujours échappé malgré son extrême agilité d’alpiniste, ce chamois à l’allure majestueuse.

Une petite lecture italienne, poétique et cruelle, d'Erri De Luca

MON AVIS

C'est un long poème ou une petite nouvelle. Chaque phrase est ciselée et l'issue du duel à distance entre le chasseur et le roi des chamois semble fatale dès le début de la lecture. Duel pendant lequel ils se flaireront sans jamais se voir pratiquement, jusqu'à la fin. La nature y est décrite comme un terrain de guerre et les deux ennemis se respectent. Il n'y a aucune fioriture, chaque mot est bon à prendre et à ressentir. On est à la fois dans le mouvement et la contemplation de la nature et du temps qui passe, pour l'animal comme pour le chasseur. J'ai beaucoup aimé et on sent que l'auteur respire l'amour pour la montagne.

ERRI DE LUCA, POETE ENGAGE

Et pour cause, c'est un alpiniste chevronné : « En grimpant, ... J'entre dans un lieu vide ou très peu fréquenté, ... Là-haut, je me trouve en situation d'hôte, mais pas d'invité. Et j'appartiens un peu moins à ce temps qui a la présomption d'être résident sur terre, d'être le patron de la terre, de l'air et de l'eau. Je me sens tellement de passage qu'en montagne, je ne plante jamais de clou. J'utilise ceux des autres, ça oui, mais jamais je n'ai donné un coup de marteau sur une paroi rocheuse. Et quand j'arrive au sommet, une sorte de pudeur m'empêche d'écrire sur le livre qui se trouve parfois là, pour que les alpinistes laissent quelques mots. Je ne veux pas laisser de trace - seulement celle de mes pas, mais en montagne, la neige a tôt fait de les recouvrir, c'est même l'un de ses dangers. »

Il a fait parler de lui ces derniers temps pour sa lutte contre le TAV (la ligne TGV entre Lyon et Turin, en projet), appelant dans ses écrits à lutter activement contre la venue de cette ligne TGV (jugée inutile et néfaste pour l'environnement des régions concernées). Accusé d'appel au sabotage voire au meurtre, il a finalement été acquitté à l'automne 2015. C'est en prenant connaissance de cette actualité depuis deux ans que je m'étais fixée de lire l'un de ses ouvrages. D'autant plus que son rapport à l'écriture m'a séduite :« L'écriture représente pour moi le contraire même du travail... C'est un moment festif qui m'a tenu compagnie toute la vie. »

Une petite lecture italienne, poétique et cruelle, d'Erri De Luca

EXTRAIT 1

Il attendit là, sans bouger, bombant le torse, la balle de onze grammes qui traversa son coeur de haut en bas.Il mourut avant d'entendre le fracas de la détonation, un coup de marteau contre la tôle du ciel.Il tomba du haut de la pierre et roula vers les chamois. L'homme vit alors une chose jamais vue jusque-là. Le troupeau ne se dispersa pas en s'enfuyant, il fit lentement le mouvement inverse. D'abord, les femelles, puis les mâles, puis les petits nés au printemps montèrent vers lui, à la rencontre du roi abattu. Un par un, ils penchèrent leur museau sur lui, sans une pensée pour l'homme aux aguets. Ils touchèrent de leurs cornes, d'un léger coup, le dos roux et épais de leur père à tous. Les femelles donnèrent deux coups, les petits frottèrent timidement leurs premiers centimètres sur le manteau hivernal, déjà combre, de leur patriarche.
Rien n'était plus important pour eux que cet adieu, l'hommage rendu au plus magnifique des chamois qui eût jamais existé. L'homme regardait, l'arme encore sur l'épaule, le corps sur ses coudes. Il baissa son fusil. La bête l'avait épargné, lui non. Il n'avait rien compris de ce présent qui était déjà perdu. C'est à ce moment-là que la chasse prit fin pour lui aussi, il ne tirerait plus jamais sur d'autres animaux.

EXTRAIT 2

A une époque, il avait partagé la montagne avec un ours. Ils se rencontraient souvent et s'arrêtaient à quelques pas de distance. L'ours flairait l'homme, l'homme regardait par terre, de côté, en haut. L'ours mangeait les viscères des bêtes abattues. L'ours et sa fourrure étaient bons à vendre, mais on ne tue pas un spécimen unique. Puis l'animal était mort de vieillesse, il avait trouvé sa carcasse dans un bois du versant nord et il l'avait enterrée.

Rédigé par t-as-vu-ma-plume

Publié dans #Cercles de culture

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B
une lecture idéale pour être dans l'atmosphère italienne qui est celle de mes racines
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