Bakhita de Véronique Olmi, un superbe roman qui flirte avec Désert (Le Clézio)

Publié le 6 Décembre 2017

On m'a offert un beau roman, récit d'une dure histoire d'une esclave que le destin finit par emmener en Italie, pour la sauver en quelque sorte.

Synopsis : Bakhita, née au Darfour au milieu du XIXe siècle, est enlevée par des négriers à l'âge de 7 ans. Revendue sur un marché des esclaves au Soudan, elle passera de maître en maître, et sera rachetée par le consul d'Italie. Placée chez des religieuses, elle demande à y être baptisée puis à devenir soeur.

 

Bakhita de Véronique Olmi, un superbe roman qui flirte avec Désert (Le Clézio)

UNE HISTOIRE VRAIE QUI NOUS ETRANGLE D'EMOTIONS

Le récit est âpre et parvient à placer le lecteur à la place de l'enfant de 7 ans qui va se faire enlever et qui ne comprend pas où on l'emmène. Ce qui m'a le plus marquée, étrangement, ce n'est pas la violence qu'elle subie et les souffrances qu'elle vit mais le fait qu'au bout de peu de temps, elle oublie sa langue maternelle. Il est difficile de s'imaginer à quel point l'esclavage aliène et brûle les racines de nos origines.

Extrait d'une critique de Télérama:

"Pour survivre, elle s’évade à travers une comptine devenue credo : « Quand les enfants naissent de la lionne… » Elle se raccroche à la petite Binah, encore plus jeune qu’elle. « Je ne lâche pas ta main »devient un acte de foi. Toujours, Bakhita cherchera une main secourable et à secourir.

En entrant dans ce roman, c’est nous, lecteur, qui ne lui lâchons plus la main, étranglé d’émotions terribles, porté par les phrases courtes de Véronique Olmi, une ponctuation en coups de fouet, des mots brûlants dépouillés de tout pathos. Les paragraphes sont brefs — comme on met un pied devant l’autre, sans savoir quelles abominations nous réserve l’inconnu. L’auteure a endossé la douleur qui abolit la notion de temps, le corps qui se rétrécit dans la soif et la faim, que l’épuisement minéralise. Car Bakhita a existé. Vendue cinq fois avant que le consul d’Italie à Khartoum ne décide de la ramener chez lui. Elle a alors 16 ans et ­devient domestique, en Vénétie : « Ce n’est pas fini, l’esclavage. C’est simplement plus lent et moins bruyant. »"

 

UN PARALLELE AVEC DESERT DE LE CLEZIO ?

Je ne suis pas connaisseuse au point de parler de parallèles d'écriture, mais la façon dont on raconte les pensées et l'évolution de Bakhita me fait penser à ce que j'avais lu sur Lalla.

Extrait sur Bakhita :

"Elle parle du pays de l’enfance, qui est le même pour chacun, elle leur dit que là-bas le jour est béni, la nuit respectée, la nature remerciée. « C’est pareil pour vous, non ? » Avec le père. La mère. Ceux qui les ont engendrés. Et ceux qui attendent de venir au monde. « C’est pareil pour vous, non ? » Et c’est bien cela qui les trouble. Ils ont peur de se reconnaitre dans les vies des Africains, et de s’y confondre. Se perdre dans les espérances et les détresses des autres, si semblables aux leurs.

(…)

La vie est rapide, ce n'est qu'une flèche, brûlante et fine, la vie est un seul rassemblement, furieux et miraculeux, on vit on aime et on perd ceux que l'on aime, alors on aime à nouveau et c'est toujours la même personne que l'on cherche à travers toutes les autres.

 

 

Extrait de Désert :

"Lalla remonte vers la vieille ville, elle gravit lentement les marches de l’escalier défoncé où coule l’égout qui sent fort. En haut de l’escalier, elle tourne à gauche, puis elle marche dans la rue du Bon-Jésus. Sur les vieux murs lépreux, il y a des signes écrits à la craie, des lettres et des dessins incompréhensibles, à demi effacés. Par terre, il y a plusieurs taches rouges comme le sang, où rôdent des mouches. La couleur rouge résonne dans la tête de Lalla, fait un bruit de sirène, un sifflement qui creuse un trou, vide son esprit. Lentement, avec effort, Lalla enjambe une première tache, une deuxième, une troisième. Il y a de drôles de choses blanches mêlées aux taches rouges, comme des cartilages, des os brisés, de la peau, et la sirène résonne encore plus fort dans la tête de Lalla. Elle essaie de courir le long de la rue en pente, mais les pierres sont humides et glissantes, surtout quand on a des sandales de caoutchouc. Rue du Timon, il y a encore des signes écrits à la craie sur les vieux murs, des mots, peut-être des noms ? Puis une femme nue, aux seins pareils à des yeux, et Lalla pense au journal obscène déplié sur le lit défait, dans la chambre d’hôtel. Plus loin, c’est un phallus énorme dessiné à la craie sur une vieille porte, comme un masque grotesque. "

Rédigé par t-as-vu-ma-plume

Publié dans #Cercles de culture

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