Le cas Troy Davis - Piqûre de rappel sur la peine de mort...
Publié le 21 Septembre 2011
Pas de leçon de morale, juste une piqûre de rappel. Troy Davis devrait être exécuté aujourd’hui aux Etats Unis, pour un meurtre qu’il aurait commis il y a vingt ans. Seulement on n’a aucune preuve de sa culpabilité, et sept des neuf témoins qui l’accusaient se sont depuis rétractés.
Alors un rappel, quelques jours après le trentième anniversaire du discours de Robert Badinter pour le vote de l’abolition de la peine de mort, sur ce qu’est la peine de
mort, ou plutôt ce qu'elle n'est pas: ni un moyen efficace de dissuasion, ni un châtiment juste, ni un exemple pour la société et dans l'Histoire.
"Oh ! nous sommes le dix-neuvième siècle ; nous sommes le peuple nouveau ; nous sommes le peuple pensif, sérieux, libre, intelligent, travailleur, souverain ; nous sommes le meilleur âge de l'humanité, l'époque de progrès, d'art, de science, d'amour, d'espérance, de fraternité ; échafauds ! qu'est-ce que vous nous voulez ? Ô machines monstrueuses de la mort, hideuses charpentes du néant, apparitions du passé, [...] Vous êtes les choses de la nuit, rentrez dans la nuit. Est-ce que les ténèbres offrent leurs services à la lumière ? Allez-vous-en.
Pour civiliser l'homme, pour corriger le coupable, pour illuminer la conscience, pour faire germer le repentir dans les insomnies du crime, nous avons mieux que vous, nous avons la pensée, l'enseignement, l'éducation patiente, l'exemple religieux, la clarté en haut, l'épreuve en bas, l'austérité, le travail, la clémence. Quoi ? du milieu de tout ce qui est grand, de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est auguste, on verra obstinément surgir la peine de mort ?" -- Victor Hugo, Aux habitants de Guernesey (1854)
"En étudiant l'Histoire, non dans les éditions expurgées, destinées aux élèves et étudiants, mais dans les textes de ceux qui, à chaque époque, disposaient de l'autorité, on est grandement écoeuré non par les crimes des méchants, mais par les châtiments que leur infligent les bons. Une communauté est bien plus traumatisée par l'usage habituel du châtiment que par l'apparition occasionnelle de crimes et délits. "-- Oscar Wilde, The Soul of Man under Socialism (1891)
"L'exécution capitale n'est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp de concentration l'est de la prison.
Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement le meurtre commis. Mais elle ajoute à la mort un règlement, une préméditation publique et connue de la future victime, une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort. Il n'y a donc pas équivalence.
Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu'est-ce donc que l'exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ?
Pour qu'il y ait équivalence, il faudrait que la peine de morte châtiât le criminel qui aurait averti sa victime de l'époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l'aurait séquestrée à merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé." -- Albert Camus, Réflexions sur la guillotine (1958)
En fait, ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles.
Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. Nous les admirons, mais ils n'hésitent pas devant la mort. D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas non plus. C'est seulement pour la peine de mort qu'on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact. - Robert Badinter le 17 septembre 1981
Il est très intéressant de lire le discours de Robert Badinter et son déroulé à l’époque à l’Assemblée nationale, afin de comprendre les réticences à l’œuvre il y a trente ans. Par exemple :
Le garde des sceaux. Examinez simplement ce qui est la vérité. Regardez-la.
J'ai rappelé 1791, la première Constituante, la grande Constituante. Certes elle n'a pas aboli, mais elle a posé la question, audace prodigieuse en Europe à cette époque. Elle a réduit le champ de la peine de mort plus que partout ailleurs en Europe.
La première assemblée républicaine que la France ait connue, la grande Convention, le 4 brumaire an IV de la République, a proclamé que la peine de mort était abolie en France à dater de l'instant où la paix générale serait rétablie.
M. Albert Brochard. On sait ce que cela a coûté en Vendée !
Plusieurs députés socialistes. Silence les Chouans !
Quand on pense que Marine Le Pen appelle de ses vœux le rétablissement de la peine de mort… Aucune société n’est à l’abri.
"Ce qui plaide le mieux en faveur de l'abolition de la peine de mort, ce sont les argument qu'emploient ses partisans, et leur mentalité." -- Arthur Koestler, Réflexions sur la Peine Capitale