« To tour or not to tour ? »

Publié le 27 Août 2011

 

 

Les voyages estivaux, et particulièrement  les destinations les plus prisées par le tourisme de masse, peuvent parfois réserver de désagréables surprises, qui cassent le charme des excursions touristiques. Récit de Pierre, qui a assisté au phénomène du tourisme façon « Bidochon ».

 

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Alors que 30 000 pèlerins convergent vers Lourdes, et qu’autant viennent de participer à une prière publique à Houston pour demander à Dieu d’apaiser les maux de l’Amérique et du Texas, je dois avouer que ces chiffres me paraissent à relativiser. On a coutume de vendre le renouveau chrétien et les courants évangélistes comme une sorte de retour à un conservatisme d’un autre âge, conservatisme qui engendrerait quelques exaltés dont le sinistre Breivik ne serait pas le dernier exemplaire. Depuis peu, j’aurais tendance à relativiser cette analyse. S’il existe un renouveau du religieux, ce n’est guère dans les églises, mosquées ou autres synagogues qu’il faut à mon sens le chercher.


J’étais au mois de juillet en Angleterre, à Salisbury, comté du Wiltshire. Une banale ville de province anglaise, à mi-chemin de Londres et de Bristol, avec ses 50 000 âmes, ses pubs, ses « bookmakers », ses banques, ses agences immobilières. C’est ici que nous avions fait étape, au cours d’un séjour itinérant, dans un bed & breakfast sommaire à deux pas de la gare. Alors que nous errions à la découverte de cette ville, mon frère me fit cette réflexion : « Le tourisme est la nouvelle religion mondiale. Il existe dans chaque pays des pèlerinages à faire, on écoute le guide comme un prêtre, et des millions de gens prennent exactement les mêmes photos comme s’il s’agissait d’un geste à accomplir. » Cette remarque me parut assez éloignée des réalités : nous étions alors au pied de l’une des plus belles cathédrales du Royaume-Uni, et il ne s’y trouvait pourtant guère de visiteurs exotiques pour la mitrailler de leurs téléobjectifs. Si cela ne tenait qu’à moi, j’indiquerais d’ailleurs volontiers Salisbury aux touristes : sans doute est-elle bien plus représentative de l’Angleterre « profonde » que les Londres ou autres Brighton...


Le lendemain matin, après un copieux petit déjeuner, nous étions en train de scruter une éclaircie dans l’averse afin de nous rendre à Stonehenge. C’était un dimanche matin à 10 heures, et lorsque le beau temps revint enfin, nous nous attendions à être bien seuls à vouloir nous rendre sur place. Las ! Nous pûmes constater qu’une bonne cinquantaine de touristes attendaient eux aussi leur tour, et l’impériale prit la route on ne peut plus chargée. C’est alors que l’assertion de la veille me revint en tête : tous ces gens, le nez rivé sur leur sacro-saint prospectus, obéissant comme à un maître à la voix automatique dont les crachotements indiquaient tel ou tel lieux à regarder sur la route, prenaient alors un très singulier air de pèlerins (voire d’adeptes d’une secte quelconque).

 

 

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Et cette impression ne fit que se confirmer une fois sur place. Il est frappant de constater l’isolement du site de Stonehenge, situé au beau milieu de nulle part, quelque part à la campagne. Observer sur la petite route attenante un trafic digne d’une autoroute semble quelque peu irréel. D’autant plus qu’il ne s’agit pour la plupart des visiteurs que de faire le tour des quelques mégalithes entreposés sur place et de repartir un quart d’heure plus tard, comme d’autres feraient le tour de la Kaaba. L’ironie veut que, contrairement à une croyance largement répandue, Stonehenge ne servit sans doute jamais en tant que sanctuaire religieux durant la période celtique. A quoi ce lieu servit-il ? Nul ne le sait exactement. Toujours est-il que le seul alignement des pierres semble passionner des foules venues de loin, qui du reste ne se préoccupent guère des mystères du lieu et, au lieu de s’y recueillir, finissent de le contourner au pas de charge.


A dix kilomètres de Stonehenge, plus l’ombre d’un de ces pèlerins des temps modernes, retour à cette paisible Angleterre vivant au ralenti. Durant l’office, une petite centaine de personnes remplissent bien mal la cathédrale. Le salut de la paroisse tiendrait-il davantage à LonelyPlanet ou autres Guides du Routard qu’à l’Évangile ? Ironie du sort, le Daily Mail regrettait la veille le déclin de l’Église d’Angleterre.


Universalisme du message, obligations morales imposées aux croyants sans nécessité de réflexion préalable, imposition d’une langue universelle, denier du culte, quête, pèlerinages prédéfinis…. Difficile, après une telle expérience, de ne pas voir en le tourisme cette nouvelle religion universelle transcendant les clivages préexistants. Quel dommage que toutes ces foules, guidées par leurs dogmes new-look, ratent ce qu’il y a sans doute de plus authentique et d’agréable dans les contrées qu’il leur est donné de visiter.*


Telles étaient en tout cas mes réflexions après avoir visité, non loin de là, le château en ruines d’Old Sarum, au moment de déguster de l’agneau à la menthe arrosé de la bière ambrée locale.** « Cultivons l’authentique », comme aurait dit Pagnol en son temps.

 

Pierre Niocel

 


* Le côté burlesque de ce style de voyages est parfaitement exposé par Binet, dans son excellent Les Bidochon en voyage organisé, auquel je n’ai pu m’empêcher de penser à maintes reprises.


** A ce sujet, et en cas de petit creux, on ne peut que recommander le Cawardine’s, excellent restaurant anglais du centre de Salisbury.

http://www.thebest3d.com/music/returntostonehenge/feile.htm

 

Rédigé par t-as-vu-ma-plume.over-blog.com

Publié dans #Exutoire

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