L'impossibilité d'un happy end dans un monde de merde (Le quatrième mur, de Sorj Chalandon)

Publié le 20 Janvier 2015

« Antigone c’est la petite maigre qui est assise là-bas et qui ne dit rien ».

Une image d'Antigone - antique et contemporaine

Une image d'Antigone - antique et contemporaine

LE QUATRIEME MUR, C'EST QUOI?

Les récentes actualités, toutes confondues, m'ont convaincue de parler du roman Le quatrième mur davantage sous l'angle actu que sous l'angle culture.

Synposis :

Un dénommé Georges (des années 1980) — double littéraire de l'auteur —, metteur en scène amateur à ses heures perdues, depuis longtemps militant dans l’extrême gauche notamment pour la défense des Palestiniens, connaissant seulement la révolte et non la guerre. Un Georges qui s’envole pour la première fois en direction du Liban et surtout de la guerre qui y fait rage, dans l’unique but de tenir une promesse faite à un ami, Samuel Akounis, un pacifiste juif Grec de Salonique : monter la pièce de Jean Anouilh, Antigone (1944), à Beyrouth.

Par "quatrième mur", l'écrivain désigne la frontière invisible mais palpable entre les comédiens sur une scène de théâtre et son public.

J'ai écrit le texte qui suit décrivant mes impressions à chaud, au lendemain de la fin de ma lecture, soit la veille du 7 janvier 2015 (date qui restera l'une des plus marquantes pour moi depuis ma naissance en 1989).

Je vous livre ce texte sans retouche. Il y a donc encore une certaine naïveté dedans, alors qu'il y en aurait eu moins si je l'avais écrit après ce 7 janvier.

CONTRE LE MUR JE ME SUIS COGNEE

"J’ai terminé en début de nuit dernière la lecture du roman Le Quatrième mur, de Sorj Chalandon.

J’ai pris une claque et j’en suis encore étourdie ce matin. Il a été difficile de se rendre au bureau. Je ne pense qu’à Georges, personnage principal, que j’ai trouvé très naïf la moitié du roman. Pendant la deuxième moitié du récit, je me suis complètement identifiée à lui cependant. Metteur en scène de théâtre au début des années 80, et jeune père ayant fait ses armes dans les luttes de la jeunesse universitaire, il peut se glorifier d’avoir été lynché par le camp adverse de la faculté d’Assas et d’avoir eu un genou presque brisé. Sans avoir jamais été sur les lieux des luttes du monde qui l’obsèdent, il s’approprie la cause palestinienne et accepte de remplacer son meilleur ami dans son projet lorsque ce dernier tombe malade : mettre en scène Antigone, de Jean Anouilh, à Beyrouth (Liban). Cette petite maigre venue de l’antiquité, qui regarde la mort venir avec sérénité. Elle va devoir payer d’avoir voulu enterrer décemment son frère, que son oncle devenu roi avait condamné au déshonneur.

Faire jouer une pièce à Beyrouth, une tragédie, par des comédiens venus de tous les camps – car il n’y a pas que les Israéliens d’un côté et les Palestiniens de l’autre, il faut compter avec les Libanais, les Chrétiens, les Druzes… – est un pari risqué et qui paraît absurde."

L'impossibilité d'un happy end dans un monde de merde (Le quatrième mur, de Sorj Chalandon)

"Georges parvient à distiller l’espoir de pouvoir jouer malgré les tensions ennemies dans l’esprit des comédiens désignés et de leurs familles respectives. Mais le doute est immense. Quelle légitimité, quelle utilité à « faire le clown » sur un champ de bataille prêt à exploser à tout moment ? Demander une trêve, un temps d’humanité, c’est la volonté de l’ami de Georges, qu’il essaye de transmettre. J’ai trouvé cette volonté farouche à la fois belle et bien trop naïve, injustement placée sur l’enjeu du théâtre. Puis je me suis rapprochée de Georges et j’ai compris au fil de la lecture que la pièce ne se jouerait peut-être pas. Le happy end n'est en réalité pas si évident que ça dans cette littérature contemporaine.

La guerre est plus forte que tout. C’est à ce moment-là que j’ai le plus soutenu le héros dans sa quête perdue de la paix pour deux heures sur une scène de théâtre. Georges devient Antigone lui-même quand il se rend un petit matin au camp de Chatila et qu’il découvre l’œuvre du massacre perpétré par les Israéliens. Dans ce quartier vit la comédienne choisie pour interpréter Antigone. Survit-elle? (je ne le divulguerai pas ici).

Il est devenu Antigone et retourne dans sa petite France, où sa femme et sa fille, ainsi que ses compagnons, l’attendent impatiemment. Mais il a perdu tout goût de vivre, toute notion de ce que représente le quotidien d’un homme normal à Paris. Sa fille pleure parce que sa boule de glace est tombée ? Il tente de lui faire manger la glace qu’il a ramassée au sol et lui reproche sa faiblesse. Il est Antigone et l’incarnera jusqu’au bout puisque, à l’image de l’héroîne sacrifiée de Jean Anouilh, il reprendra le chemin du Liban pour jouer son rôle dans la tragédie."

CASSER LES MURS

"Et moi je termine la dernière page, la dernière phrase. Je ne pleure pas, je mets du temps à m’endormir et, le lendemain, je reprends le chemin du bureau. J’arrive à l’heure, pour retrouver mon poste de fonctionnaire utile aux autres. Je prends connaissance de la dernière demande de ma hiérarchie – rédiger un paragraphe expliquant que notre département est super fort en fiscalité – et je n’ai qu’une envie, leur faire bouffer, à tous, de la glace préalablement jetée sur le goudron d’un trottoir parisien.

Pourquoi suis-je là ? Du bon côté ? A ne jamais avoir peur pour ma vie, sauf en traversant au feu rouge une rue parisienne ? A ne jamais avoir à courir autrement que pour me dépenser, me défouler ? A ne voir que les horreurs via un écran au lieu de les vivre ? Pourquoi suis-je née en France et à la fin des années 80 ?

Je suis incroyablement chanceuse, c’est la seule réponse à toutes ces questions. Mon « âme » ou mon esprit s’est invité dans un corps tout sauf en danger. Et une quantité d’autres corps humains condamnés à la barbarie sont habités par d’autres âmes, d’autres esprits qui n’ont rien demandé."

Rédigé par t-as-vu-ma-plume

Publié dans #Cercles de culture, #Je prends ma plume..., #Exutoire

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