Ecrire le cinéma - De rouille et d'os: 651 578 entrées, "27 os dans la main humaine", 1 très beau film

Publié le 4 Juin 2012

 

Il n’y a guère besoin de lui faire de la pub, au vu de toutes les critiques qui l’encensent déjà (et du probable succès commercial). Mais, un film comme ça, capable même de convaincre mon chéri, je veux quand même vous en toucher quelques mots.

 

De Rouille et d’os. De Jacques Audiard. Avec Matthias Schoenaerts et Marion Cotillard notamment. Il faut aussi signaler Corinne Masiero, qui a un rôle moins essentiel, mais qui est vraiment une actrice à part et que j’aime beaucoup (bien que je n’ai pas encore vu le film Louise Wimmer où elle tient enfin un premier rôle).

 

L’histoire, tout le monde la connaît : un marginal sans le sou hérite malgré lui de son gosse et rejoint le sud de la France pour aller chez sa sœur. Il y rencontre Stéphanie, dresseuse d’orques qui se fait couper les jambes par une de ces belles mais dangereuses bestioles. Entre eux, bien entendu, va se développer une relation d’amitié sexuelle hors du commun…

 

On pourrait croire que c’est un mélo insipide, quand on s’attache à l’aspect romantique de l’histoire (d’ailleurs certains spectateurs l’ont détesté pour cette raison). On pourrait croire à un film moralisateur sur le handicap, les relations homme-femme, la tolérance, la misère humaine etc. On pourrait croire qu’il faut fermer les yeux à plusieurs reprises dans le film lors de scènes particulièrement horribles.

Sauf que non, rien de tout cela mon capitaine.

C’est Brut. Délicat. Vrai. Cru. Sobre.

Comme le titre.

 

Le réalisateur appuie sur des points sensibles, sans jamais montrer pourtant l’horreur visuelle. Et son talent de cinéaste fait qu’on est quand même pris aux tripes (une leçon à donner aux réalisateurs qui pensent que l’émotion passe par le gore).

La musique est sublime, et sur ce point aussi, les échos sont très favorables de la part du public.

 

 


 

 


Chaque séquence du film est très joliment filmée, qu’il s’agisse de sexe, de combat de boxe, de la douleur de Stéphanie en fauteuil roulant…

La magie opère et certains mots, certaines phrases vous marquent même une fois le générique terminé.

 

« Qu’est ce que vous avez fait de mes jambes ? » (répétée et hurlée plusieurs fois par une Marion Cotillard exceptionnelle).

 

« Délicatesse » (mot appuyé et prononcé aussi par Marion Cotillard, sur un ton amer).

 

« Opé » (qui monter le côté très brut, limité pour certains, d’Ali).

 

 

Le pouvoir de ces mots renvoie au texte brutal de Craig Davidson qui a écrit la nouvelle Un goût de rouille et d’os (et qu’Audiard a adaptée) :

 

Il se passe toujours quelque chose pour équilibrer autre chose, chaque minute de chaque jour, un bilan silencieux, chaque action portant en elle son propre poids discret, son propre pouvoir de transformation.

 

Il y a vingt-sept os dans la main humaine. Entre autres, le lunatum, le capitatum et le naviculaire, le scaphoïde et le triquétrum, ou bien encore les minuscules pisiformes cornus de la face extérieure du poignet. Ils ont beau être tous différents dans leur forme comme dans leur densité, ils sont tous bien alignés, leurs contours sont parfaitement ajustés et ils sont reliés par un réseau de ligaments qui courent sous la peau. Tous les vertébrés ont en commun un ensemble d'os similaire, et tous les os se constituent à partir des mêmes tissus : qu'il s'agisse de l'aile d'un oiseau, de la nageoire dorsale d'une baleine, de la patte d'un gecko ou de votre propre main. Certains primates en ont plus encore : le gorille en a trente-deux, cinq dans chaque pouce. Pour les humains, c'est vingt-sept.

Cassez-vous un bras ou une jambe, et l'os va s'enve­lopper de calcium en se ressoudant, si bien qu'il sera plus solide qu'avant. Mais cassez-vous un os de la main, et cela ne guérit jamais correctement. On se fracture un os du tarse et la ligne de fêlure reste visible pour toujours : comme une faille dans du granit sur les radios. Si on a un métacarpien écrasé, on est bon : les esquilles d'os qui ne sont pas absorbées par des tissus tendres sont dévorées par les enzymes ; cette poudre passe ensuite dans le système sanguin. Regardez donc les mains d'un boxeur : les jointures se sont écrasées contre les lourds sacs de frappe ou contre le visage d'un adversaire et la peau s'est fendue en diagonales croisées, comme une grille de cicatrices en X.

 

Et là où je vais nuancer par rapport aux commentaires d’autres critiques et spectateurs, c’est que, certes, Matthias Schoenaerts joue très très très bien et a de très très très beaux yeux, mais Marion Cotillard dépasse tout, pour moi.

Il faut voir les scènes où, enfin de nouveau debout sur des prothèses, elle fait une entrée en boite digne de l’entrée d’un champion de boxe sur le ring. Cette scène, parmi d’autres, met en lumière toute l’aura qu’elle balade avec elle et qui fait qu’on ne voit plus que cette femme aux grands yeux, en oubliant tout ce qu’elle a pu interpréter avant comme personnage.

 

4zj6p_480x270_2264qb.jpg

 

Donc, sans être pour autant chauvin, on peut se demander comment, entre la bande originale du film, les deux acteurs, le scénario et le réalisateur, rien n’a pu être récompensé à Cannes… Tant qu’on n’a pas vu l’ensemble des films, on ne pourra accuser le jury de s’être trompé.

Toujours est-il qu’Audiard est un de mes réalisateurs préférés, même si De rouille et d’os n’est pas LE film d’Audiard à mon sens.

 

 


 

 

 

 

 

Rédigé par t-as-vu-ma-plume

Publié dans #A la croisée des arts

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article