Ecrire le cinéma: Ode à un avare de sourires et de paroles mais un surdoué des scenarii – Jean-Pierre Bacri
Publié le 1 Avril 2011
Cela fait un moment que j’ai envie d’écrire sur celui qui écrit de si bons scenarii en tant que complice de sa femme. Petit à petit, sans sortir de leur tandem de scénaristes, l’un a prêté sa gueule bougonne aux personnages des films qu’Agnès Jaoui a réalis és et ré alise e ncore. Plutôt que de sortir un énième commentaire sur leur belle filmographie, je tenais à livrer des bribes plus intimistes, faite s de rencontres, de spectacle, d’émissions de radio, etc. qui gravitent autour du rapport que chacun entretient avec l’écriture, le scenario et l’art.
Je les affectionne tous les deux particulièrement, pour avoir adoré les films qu’ils ont écrits (Cuisine et dépendances, Un air de famille, Comme une image, Parlez-moi de la pluie…), et pour l’image qu’ils véhiculent (loin des strass et paillette s de la célébrité).
Je les ai croisés au hasard d’un chemin du parc du Luxembourg, et me suis retrouvée quelques années plus tard, dans le cadre des C orrespondances à Manosque, face à Agnès Jaoui qui récitait un couplet surréaliste autour de l’œuvre d’Italo Calvino (texte écrit par Yann Apperry et accompagnée de musiciens pour une suite musicale tragi-comique, ah ! oui ! parce qu’elle chante Agnès, et très bien en plus).
Quant à Bacri, c’est sur France Inter que je l’ai entendu (j’en ai déjà parlé ici), et il donnait son idée de la meilleure manière d’écrire un scénario : un scénariste réfléchit comme un poète. Il y a une histoire de pieds dans les dialogues, et il faut s’imaginer l’auteur prononcer chaque syllabe pour s’assurer que le dialogue écrit n’a pas une syllabe en trop ou en moins pour que ça « sonne » bien.
Il a également parlé de la complicité inhérente à son travail, en l’occurrence la coopération avec sa femme Agnès. Ainsi, et c’est dommage car je serais curieuse de voir cela, il n’a pas pu aboutir à un projet satisfaisant avec Jamel Debbouze. Pourtant, et même si cela semble étrange au premier abord, ils font bien la paire. Juges plutôt avec Parlez-moi de la pluie (dans cet extrait certains retrouveront avec « nostalgie » l’ambiance des cantons à l’aube des élections, avec les campagnes électorales, les candidats parachutés comme c’est le cas d’Agnès Jaoui dans ce film etc.) :
Et pour finir, petit florilège de dialogues à SAVOURER (extraits de Un air de famille) :
"Philippe : (Pendant que Yolande ouvre) Arrête de pleurer, c’est de la sensiblerie maintenant…
Yolande : Je suis désolée, j’ai trop bu, et j’ai pas l’habitude… oh, encore une laisse…
Philippe : (Se contenant) Non, c’est un collier, chérie…
Yolande : (Elle regarde de plus près) Mais… c’est beaucoup trop luxueux, pour un chien, non ?
Philippe : C’est pour toi, ce n’est pas pour le chien, c’est pour toi. C’est un collier pour femme.
Yolande : Aaaah ! Merci, merci, mon chéri… je vais le mettre tout de suite. (Elle le met. C’est une
lanière de tissu noir, de deux doigts d’épaisseur, sertie de diamants) Il me va bien ?"
…
"Betty : (Glacée) Il y a certaines choses que je trouve bien plus choquantes que mon vocabulaire,
moi.
La Mère : Quoi, qu’est-ce que ça veut dire, ça, quel rapport ?
Betty : Ca veut dire qu’on peut être extrêmement grossier sans dire un seul gros mot, voilà ce que ça
veut dire…
La Mère : Qu’est-ce que tu me racontes ?
Betty : Depuis le début de la soirée tu ne t’inquiètes que des petits problèmes de Philippe, alors
qu’Henri se morfond dans son coin… tu appelles ça comment, toi ? De la délicatesse ? De la
décence, peut-être ?
La Mère : …
Betty : Philippe par ci, Philippe par là ! Il est peut-être merveilleux, ton Philippe, n’empêche qu’il parle
à sa femme comme à une sous-merde ! Ah ! Tu me trouves grossière, là, hein ? Eh bien moi, c’est lui
que je trouve grossier, alors tu vois… on n’est pas d’accord ! Et traiter Denis comme un chien, comme
tu viens de le faire, là à l’instant, par exemple, ce n’est pas grossier ? Enfin je dis « comme un chien »,
je ne devrais pas, c’est encore ce qu’on traite de mieux, les chiens, dans la famille…"
…
"Philippe : (A Henri) Tu ne lui dis rien, toi ?
Henri : (Las) Non, je dis rien, moi, je m’en fous de vos histoires, j’ai envie de fermer et d’aller me
coucher, alors tu vois… je suis fatigué.
Philippe : Tu t’en fous, de mes histoires ? Je te remercie.
Henri : Pourquoi, tu t’intéresses aux miennes toi ? Tu les connais, mes histoires, à moi ? A part ton
émission de télé, que je n’ai pas vue, d’ailleurs, tu t’intéresses à quoi ? A qui ? Tu en as, de la
considération, toi ?
Philippe : Qu’est-ce que ça veut dire ?
Henri : Ah ! Tu vois ! Tu sais même pas ce que ça veut dire…"
(ces extraits peuvent être retrouvés ici: http://lepalindrome.free.fr/Dossier%20Un%20air%20de%20Famille.pdf)